Qu'est ce qu'un modèle de simulation multi-agent ?
Qu'est ce que la modélisation ? la simulation ?
Il y a de très nombreuses définitions, en voici quelqu'une qui illustre quelques points de vues différents. La modélisation est une activité que nous pratiquons toustes, de façon consciente ou inconsciente, comme en témoigne depuis de nombreuses années les sciences cognitives.
Ici nous nous intéressons en premier lieu à ce qui a fait basculer la géographie dans sa forme que l'on pratique actuellement, avec la modélisation et la simulation. Plus que l'aspect Quantitatif, c'est l'importance faites de la Théorie dans le dialogue que celle-ci avec le domaine de l'Empirie et le domaine du Modèle.
Pour vous donner un exemple de modèle conceptuel, aussi nommé diagramme sagital, vous pouvez vous rapporter par exemple aux écrits de François Durand-Dastès. Le passage du texte à la graphique, si elle peut d'abord prêter à sourire a en réalité des implications profondes dans la façon dont on se représente le monde. J'espère ici précher des convaincu en parlant à un public de géographes cartographes.
De tels schémas amènent le lecteur dans une vision systémique, fait de boucle de rétro-action, et se rapproche voire se confond déjà à l'époque avec ce que l'on appelle aujourd'hui les systèmes complexes.
En voici une autre donnée par Hagget, un géographe anglo-saxon connu et reconnu pour avoir largement participé à la diffusion de la géographie quantitative en Europe (Hagget1973?) :
En construisant un modèle (model building), on crée une représentation idéalisée de la réalité afin de faire apparaître certaines de ses propriétés
Voici une version plus récente et plus contextualisé donnée par (Langlois2005?), un mathématicien, informaticien et géographe modélisateur qui a travaillé à Rouen depuis les années 1980 :
le terme de modélisation désigne à la fois l’activité pour produire un modèle et le résultat de cette activité" . Le concept de modélisation est donc « [...] plus large que celui de modèle, car il recouvre l’activité humaine qui aboutit au modèle achevé, alors que le modèle est un objet (concret ou abstrait), volontairement dépouillé de l’activité qui l’a créé »
Il n'est pas rare de voir une définition de modélisation comme celle synonyme d'une simplification. Toutefois, comme Franck Varenne, le terme de facilitation semble plus juste et moins ambigue pour désigner cette opération qui consiste à selectionner les entités, les processus à des échelles et des abstractions pertinentes pour répondre à cette question scientifique ayant motivé la construction du modèle.
Pour (Varenne, 2008)1 le modèle est un objet médiateur
qui a pour fonction de faciliter une opération cognitive dans le cadre d’un questionnement orienté, opération cognitive qui peut être de cognition pratique (manipulation, savoir-faire, apprentissage de gestes, de techniques, de conduites, etc.) ou théorique (récolte de données, formulation d’hypothèses, hypothèses de mécanismes théoriques, etc.)
Auquel il ajoute ensuite dans (Varenne and Marc Silberstein, 2013)2,
Puisque l’usage du modèle est relatif (à un observateur et à un questionnement), on ne peut dire que le modèle doit être un objet simple en lui-même ou dans l’absolu. Il convient donc de regarder sous quel aspect exactement il doit apparaître simplificateur, sous quel aspect il devient un outil facilitateur, un outil de facilitation. [...] on comprend déjà qu’un modèle n’est pas ce qui est recherché en tant que tel, mais ce qui facilite la recherche d’information au sujet d’un système réel ou fictif [...] Il est le moyen plus que la fin.
Pour Lena Sanders et Jean-Marc Besse, plus encore, c'est dans ces détails que se trouve tout l'intérêt du modèle dès lors qu'on cherche à mieux comprendre les systèmes complexes.
ce n’est pas tant « le modèle » que ce qu’il y a « dans le modèle » qui nous intéresse
et la simulation ?
La simulation - ou modèles de simulation - est un vaste sujet qui touche à toutes les disciplines, et dont on peut trouver un petite aperçu des pratiques dans les deux tomes de "Modéliser & Simuler" Varenne and M. Silberstein (2013b)3
En Science Humaine et Sociale, la simulation est d'usage plus restreint, mais elle existe et se développe de façon cumulative depuis les années 1970 en France, et partout dans le monde. Dès l'apparition - ou presque - de la simulation dans les années 1950, de nombreuses disciplines des SHS perçoivent rapidement l'intérêt de la simulation. Le terme de "Laboratoire Virtuel" est souvent évoqué pour souligner cette possibilité offerte d'expérimenter virtuellement ce qui, pour des raisons diverses (coût, complexité, éthique, absence de données, etc.), ne peut pas ou plus l'être. Au delà de la résolution mathématique d'équation différentielle, l'ordinateur permet la manipulation de symbole complexe et surtout l'établissement de règles.
Si cette question vous intéresse, il y a plusieurs pistes que vous pouvez suivre, soit en ciblant une entrée disciplinaire et thématique très spécifique, soit par une entrée inter-disciplinaire plus large mais aussi parfois moins précise sur le plan thématique. Si vous souhaitez une approche à la croisée de la démarche épistémologique et historique, en SHS il y a une première porte d'entrée bibliographique via (Rey-Coyrehourcq, 2015)4, et de façon beaucoup plus focalisé sur la géographie quantitative (Varenne, 2017)5.
A quoi cela sert ? et en géographie ?
Apprendre !
Il y a au moins une raison évidente qui justifie l'utilisation des modèles de simulation en géographie, mais aussi dans les autres disciplines, c'est sa fonction d'aprentissage. Sur ce point l'ouvrage d'Arnaud Banos intitulé Modéliser c'est apprendre (Banos, 2016)6 saisit bien l'esprit et le geste qui animent toute une génération de modélisateurs géographes.
Arnaud Banos définit le premier 7 de ces principes Modéliser c’est apprendre ainsi :
Un géographe formé à la modélisation et devenu autonome s’apercevra rapidement que ses connaissances du phénomène qu’il cherche à modéliser sont finies. Modéliser est en effet un processus fondamentalement itératif qui –et ce d’autant plus s’il est guidé par un principe d’abduction– implique une interaction forte entre le modèle développé et la vision progressivement construite du phénomène en question. Cette coévolution est au cœur de la démarche de la modélisation et en fait à mon avis toute la saveur et la richesse
L'apprentissage nous apparait comme un processus évident car nous l'avons toustes vécus depuis l'enfance. Malgré cela, il est difficile de répondre simplement à cette question sur le plan théorique, à savoir Comment apprenons nous ? Si nous avons bien une idée des méthodes et des outils facilitant l'apprentissage (répétition, ludification, itération, etc.) cela n'éclaire que partiellement cette question.
Des pionniers comme Jean Piaget se sont penchés toute leur vie sur cette question de l'apprentissage chez l'enfant, et malgré l'oeuvre monumentale qu'il a laissé tout le monde aujourd'hui s'accorder à dire qu'il n'y a pas un mais des apprentissages.
En effet, quelle nature et quelle validité peut on donner à des observations qui viennent d'un terrain d'expérimentation virtuel ? D'autant plus lorsque celui-ci apparait étonnament simplifié ?
Evaluation, Validation
Parcequ'elle est difficile à saisir, ce que l'on nomme la Validation est très probablement l'écueil principal lorsqu'on réalise un modèle de simulation, les détracteurs sceptique sur les capacités explicatives et/ou prédictives Elsenbroich and Polhill (2023) ne se privant pas de mobiliser ces arguments pour décrédibiliser l'approche explicative par la simulation en science sociale. C'est sans compter également avec l'instrumentalisation ((G. Deffuant and Faure, 2003)8) toujours possible de ces modèles au détriment de la discipline.
Nous n'aurons pas le temps ici de rentrer dans ces débats épistémologiques, d'une part car il s'agit d'un véritable serpent de mer dans ce champs inter-disciplinaire, d'autre part car cela appele à des lectures métiers plus opérationelles. Tous les philosophes des sciences ne font pas des modèles de simulation, et inversement, ce qui devrait amener une certaine humilité d'un côté comme de l'autre. Contrairement à ce qui est souvent avancé par les détracteurs, et comme en témoigne la profusion (Rey-Coyrehourcq, 2015)4 et l'extension temporelle d'une bibliographie (1970 - aujourd'hui) dont on peut dire qu'elle est continue voire même parfois reberbative (Collins, Koehler and Lynch, 2024)9, les modélisateurs sont bien au fait de cette problématique et de ces ramifications. Le lecteur curieux de ces questions pourra trouver des points d'entrées avec des regards disciplinaires différents dans les lectures suivantes Varenne and Marc Silberstein (2013)4.
Dans ce contexte, les modélisateurs mobilisent depuis des années un ensemble de méthodes pour encadrer la construction et l'évaluation des modèles, deux processus dont nous verrons plus loin qu'ils s'agit des deux facettes d'une même pièce. On se rappelera ici de la définition de Patrice Langlois ou celle de Lena Sanders, si la modélisation est une opération incrémentale dont les choix et les objectifs formulés fondent l'intérêt de la démarche, alors la simulation tel qu'elle est opérationnalisé est un système socio technique qui engage l'humain et son environnement pour sa formalisation (Latour, Simondon). C'est pourquoi aussi la Validation ne peut être complétement détaché du contexte dans lequel le modèle de simulation se construit, et c'est bien ce qui rend cette question si complexe à traiter.
Historiquement il y a deux grandes méthodes qui ont émergés dans la littérature :
- les modèles KISS (Keep It Simple Stupid)
- les modèles KIDS (Keep It Descriptive Stupid)
Arnaud Banos et Lena Sanders ont proposé une grille de lecture qui permet d'intégrer la dimension spatiale à ces méthodes. Les différents exemples abordés dans les slides suivantes donne à voir la richesse et la diversité des formes et des problématiques justifiant l'usage de la simulation.
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Varenne, F. (2008) "Epistémologie des modèles et des simulations : Tour dhorizon et tendances," 2008(2008). Available at: https://doi.org/hal.archives-ouvertes.fr:hal-00674144. ↩
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Varenne, F. and Silberstein, Marc (2013) "Modèles et simulations dans lenquête scientifique: Variétés traditionnelles et mutations contemporaines." ↩
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Varenne, F. and Silberstein, M. (2013a) [Modéliser & simuler -- Tome 1]{.nocase}. Éditions Matériologiques. Available at: https://doi.org/10.3917/edmat.varen.2013.02. ↩
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Rey-Coyrehourcq, S. (2015) [Une plateforme int[é]{.nocase}gr[é]{.nocase}e pour la construction et l'[é]{.nocase}valuation de mod[è]{.nocase}les de simulation en g[é]{.nocase}ographie]{.nocase}. Theses. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I. Available at: https://hal.science/tel-01652092. ↩↩↩
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Varenne, F. (2017) [Théories et modèles en sciences humaines : Le cas de la géographie.]{.nocase} Éditions Matériologiques. Available at: https://stm.cairn.info/theories-et-modeles-en-sciences-humaines--9782373611274?lang=fr. ↩
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Banos, A. (2016) [Mod[é]{.nocase}liser c'est apprendre]{.nocase}. Edited by E. Matériologiques. Editions Matériologiques, p. 104. Available at: https://hal.science/hal-02021764. ↩
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Les autres principes, tout aussi importants, sont les suivants : Principe 2 : le modélisateur n’est pas omni-compétent; Principe 3 : les modèles de simulation doivent s’enraciner dans les données ; Principe 4 : le comportement de chaque modèle doit être connu de manière précise, Principe 5 ; le modélisateur doit cesser de proposer des solutions uniques et optimales à des problèmes complexes ; Principe 6 : Le modélisateur n’est pas le « gardien de la vérité prouvée », ses modèles doivent être accessibles dans leur intégralité afin d’être reproduits, Principe 7 : Les modèles ne sont plus des enfants uniques, Principe 8 : Les modèles ont vocation à être couplés, Principe 9 : Les mathématiques ne sont pas le langage universel des modèles ↩
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G. Deffuant, F.A., G. Weisbuch and Faure, T. (2003) "Simple is beautiful ... and necessary," Journal of Artificial Societies and Social Simulation, 6(1). Available at: https://jasss.soc.surrey.ac.uk/6/1/6.html. ↩
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Collins, A., Koehler, M. and Lynch, C. (2024) "Methods that support the validation of agent-based models: An overview and discussion," Journal of Artificial Societies and Social Simulation, 27(1), p. 11. Available at: https://doi.org/10.18564/jasss.5258. ↩
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Livet, P., Phan, D. and Sanders, L. (2014) "[Diversité et complémentarité des modèles multi-agents en sciences sociales. Revue française de sociologie]{.nocase}," Revue française de Sociologie, 55(4). Available at: https://doi.org/https://doi.org/10.3917/rfs.554.0689. ↩
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Durand-Dastès, F. (1974) "Quelques remarques sur l'utilisation des modèles," Bulletin de l'Association de géographes français, 51(413). Available at: https://doi.org/10.3406/bagf.1974.4753. ↩
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Banos, A. (2013) POUR DES PRATIQUES DE MODÉLISATION ET DE SIMULATION LIBÉRÉES EN GÉOGRAPHIE ET SHS. Accreditation to supervise research. Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Available at: https://shs.hal.science/tel-01112668. ↩
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Janssen, M.A. (2009) "Understanding artificial anasazi," Journal of Artificial Societies and Social Simulation, 12(4), p. 13. Available at: https://www.jasss.org/12/4/13.html. ↩
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Pumain, D. (2005) "[Cumulativit[é]{.nocase} des connaissances]{.nocase}," Revue européenne des sciences sociales (Cahiers Vilfredo Pareto), XLIII(131), pp. 5--12. Available at: https://shs.hal.science/halshs-00145921. ↩